Point du Ramingao à Roquebrune Cap-Martin

PARFUM A GRASSE FIN XIXEME SELON HAWKINS

 

En collaboration avec Judit Kiraly

 Mise à jour juin 2023

Traduction page 83 et suivantes

 

(Grasse possède) un labyrinthe de caves où les pétales de roses sont stockés. Cueillies dans les champs couverts de rosée à la pointe de l’aube, les roses sont apportées à la ville avant que ne tombe la chaleur de mai.

Vous vous trempez jusqu’aux genoux dans les pétales de roses pales et humides et je me suis une fois étendue et plongée dedans.

Grasse possède un monopole en France, peut-être même dans le monde, pour la production des parfums, savons, huiles et bonbons.

Les plantations d’oliviers couvrent trois mille hectares et soixante-sept (?) moulins à eau permettent une production annuelle de sept mille cinq cents kilos d’huile de table.

Ses gants parfumés étaient fameux, comme le cuir de Cordoue, et bien que cette industrie particulière n’existe plus, les soixante-dix (?) distilleries de Grasse constituent un important et croissant business.

La ville de Cologne seule, commande de l’essence de néroli pour une valeur de soixante-mille francs, faite avec les fleurs d’orange amère ou bigaradier, chaque kilo de fleurs fournissant un gramme de la précieuse substance et de cette façon il est facile de comprendre pourquoi deux cent mille kilos de fleurs sont traités chaque année à Grasse.

Le cassia, le jasmin, la tubéreuse, les violettes, la verveine et les jonquilles sont achetés par les distillateurs qui paient six à vingt francs le kilo pour les fleurs de cassia.

Les monticules de jonquilles offrent un joli aspect quand elles viennent d’être déchargées à la porte de l’usine, mais le tas sans couleur de ces mêmes fleurs d’or est moins plaisant quand elles ont subi un enfleurage (voir note 1) dans le chaudron de saindoux bouillant.

Des bandes de jeunes filles sont employées au travail de trier les fleurs, traiter (piquer) le saindoux, emballer les bouteilles, faire un lit de paille pour les caisses, coller les étiquettes et vendre les petits sachets colorés qui attirent toujours les touristes.

Les travaux pénibles sont faits par les hommes.

Il y a des fonderies pour le cuivre et les alambics, et des fours permettant de souffler les récipients en verre et les cornues.

Il faut faire des emballages, toute la fonderie et tout le support d’un commerce qui est appelé à prendre de vraiment gigantesques proportions.

L’Allemagne, la Russie et surtout l’Amérique font de gigantesques commandes et « l’attar de roses » (voir note 2) fabriqué maintenant à Grasse (à vingt francs la goutte) va bientôt faire concurrence avec les exportations du Levant.

L’huile essentielle d’amandes et le plus mortel extrait connu comme acide prussique, sont fabriqués ici avec une énorme quantité d’eau de fleur d’orangers (voir note3)

Les fleurs d’orangers constituent la richesse de Cannes, le Cannet, Grasse, Vallauris, Mougins, Biot, le Cros, Vence et Saint Paul du Var.

Le parfum de cette masse de fleurs est très pénible pour les gens sensibles aux odeurs et comme il produit une sorte d’exaspérant rhume des foins, certains patients sont tentés de s’enfuir de la Côte et de s’en retourner an Angleterre pour y arriver juste à temps pour la vingt-neuvième tempête de neige du printemps.

La période de cueillette des fleurs s’étend sur trente jours. Des foules de femmes et de jeunes filles vont au travail dans les champs d’orangers et cela fait une impression bizarre de les voir perchées comme autant de singes dans les branches des arbres qui poussent en forme de boule. Là elles bavardent et chantent jusqu’à ce que midi impose silence à leurs voix, et la saison est heureuse si elle se passe sans un de ces nombreux cas de cette syncope particulière à laquelle les cueilleuses de fleurs d’orangers sont sujettes.

J’ai vu un homme étendu sans connaissance assez longtemps pour qu’on appelle le docteur, le pollen de ces fleurs agissant parfois comme un poison pour le système nerveux.

La créosote et la strychnine peuvent être utilisés comme antidotes mais j’avoue que le voisinage d’une plantation d’orangers est déplaisant et c’est plus agréable pour moi quand c’est la saison de la rose de mai (voir note 4)

La rose muscadine (peut-être du rosier muscat ?) semi double (voir note 5) utilisée en distillation car elle est très aromatique, jusqu’aux pointes des longues tiges vertes liées en demi-boucles comme les tiges de framboisiers (?)

Le parfum acre de cette plante est supposé éloigner les papillons, pendant que celui de la fleur est délicieux c’est pourquoi il est difficile d’apprécier la vieille règle sanitaire de Jérusalem disant que les résidents ne devaient pas faire pousser de roses dans la ville ou garder en ginvath varidim (ou jardin des roses) près des murs. Les plantes et le commerce sont tous deux d’origine orientale, commencée par la Perse, elle était connue des arabes et aussi des juifs qui enseignaient les qualités médicales des feuilles de rosiers.

Les rois de France ont protégé les parfumeurs de Grasse. Nous avons entendu parler d’abord d’un certain Doria dei Roberti (1580) (voir note 6) médecin du Roy mais aussi parfumeur de la Royne, puis d’un certain Tombarel qui se disait lui-même de Florence parce que ces hommes étaient dans le domaine de leur art, heureux de se considérer eux-mêmes comme disciples de ces parfumeurs de Florence auxquels les Médicis avaient recours pour leurs parfums ou leurs gants empoisonnés.

Laugier parfumeur de Louis XVI vivait dans la maison qui est maintenant l’Hôtel de la Poste mais l’expansion du commerce de la fleur de Grasse, depuis la Révolution, est entièrement dû à l’initiative de Mr Perolle. Ce généreux citoyen, celui-là même qui offrit des peintures de Rubens (voir note 7) à la chapelle de l’hôpital et deux boites de ses marchandises à Paris et partant de cette timide aventure commença le commerce avec la capitale et avec l’Europe.

Grasse fait maintenant sa fortune avec ses fleurs et elle continuera ainsi à travers ses fleurs alors que les prix du blé américain ont chuté, que le phylloxéra a ravagé la vigne et que la maladie a diminué la quantité d’huile de la région située entre la Siagne et le Var

 

 

Notes

 

Note 1 :

Enfleurage traduction du terme anglais « a change »

 

Note 2 :

Attar de roses

L’attar est un parfum sans alcool originaire d’Inde et du Moyen Orient. Son nom provient de l’arabe « itr » parfum.

Il est produit par distillation de pétales de roses sous la vapeur sous pression. Il est très concentré sans alcool. L’extrait (20 à 30% d’huile) est la deuxième forme la plus concentrée et la plus chère des parfums (ref Internet)

 

Note 3 :

Change : traduction littérale suffisamment d’eau « to float a frigate » : assez d’eau pour faire flotter une frégate

 

Note 4 :

Rose de mai : avec la rose de Damas, la rose centifolia ou rose de mai est l’une des rares roses utilisées en parfumerie

 

Note 5

Rose muscadine rosier muscat : sur Internet on peut lire dans « Incroyable histoire du rosier muscat »

Le rosier muscat (rosa moschata) est un petit arbuste épineux d’environ 2.50 m d’envergure qui fait partie de la famille des rosacées. Il pousse à l’état sauvage dans de nombreuses régions du monde mais on le retrouve principalement dans la cordillère des Andes… Cet arbuste arbore de délicates fleurs blanches, crème, parfois rosées, poussant en grappes du mois de juin jusqu’aux premières gelées. Celles-ci se transforment en fruits… De ce végétal est extraite l’huile de rosier muscat par première pression à froid de la graine de ses fruits…

Muscadine pourrait venir de muscadel ou muscatel

 

Note 6 :

Doria dei Roberti. Dans anthropologie de la communication des parfums, ouvrage collectif sous la direction de P Lardellier – éditions Belin 2003, on peut lire : « la tradition veut aussi qu’un certain Tombarelli alchimiste florentin et que Barthélemy Doria Roberti médecin de la reine Catherine de Médicis aient au XVIème siècle installé à Grasse le premier laboratoire d’alchimie et de parfumerie »

Les patronymes Tombarel, Roberti et ses dérivés sont toujours portés à Grasse

 

Note7 de Charlotte Dempster Hawkins:

Rubens : « Trois beaux spécimens du premier style de Rubens peints en 1602 pour une église de couvent de Rome quand l’artiste avait vingt-cinq ans et quand son coloris avait encore le style de son maitre Otto Venius. Ils ont été peints en trois mois. »

 

Au sujet de Rubens on peut lire des articles sur ces tableaux qui sont depuis 1972 dans l’église cathédrale.

On trouve aussi des articles sur Otto Van Veen dit Otto Venius

 Note supplémentaire

Des boutures de rosiers de Damas auraient été rapportées des croisades par le chevalier Robert de Brie en 1254

Nom latin Rosa xdamascena

Elle est qualifiée de reine des Roses

Rose centifolia

Il s'agit d'un hybride complexe, issu probablement de Rosa gallicaRosa moschataRosa canina et Rosa damascena (Huxley 1992) et peut-être de Rosa phoenicia.

 Ref Internet

 

Commentaire.

 

Selon certaines indications, il y aurait eu à une certaine époque 37 moulins à eau.

Il en resterait deux restaurés : le moulin du Rossignol et le moulin Sainte Anne

Le nombre de distilleries parait élevé également

 

 

Bibliographie

Charlotte Louisa Hawkins Dempster - The Maritime Alps and their seabord Longmans Green and Co – London 1885

 

https://archive.org/details/maritimealpsthei00demp