Guerres de la Révolution à Nice suivant le dictionnaire de Casalis


Volume XI                                                                            mise à jour juin 2016 

Pages 964 à 978

Traduction

 

" Victor Amédée au printemps 1792 commença à envoyer quelques troupes dans le bas Comté de Nice ; lesquelles se renforcèrent ensuite par l’arrivée d’autres régiments et formèrent une armée d’environ dix mille hommes munis de six pièces de campagne et de tout le matériel nécessaire ; le commandement en fut confié au Chevalier de Courten Major Général  et comme il montra quelque répugnance à recevoir seul une charge aussi pénible  et d’une si grande responsabilité, il lui fut donné comme guide et comme conseiller le Comte Pinto en qualité de Quartier Maitre Général.

           Il s’occupa rapidement de mettre en état de défense les forts de Mont Alban et de Villefranche. Il fortifia l’ancienne tour du Petit Saint Laurent, arma la batterie de Sainte Hélène et distribua ses troupes le long du Var en établissant une ligne de redoutes, lesquelles s’étendaient sur une distance d’environ six miles de l’embouchure du Var jusqu’au village d’Aspremont. Toutes les milices du Comté prirent les armes et formèrent des compagnies séparées, deux dans chaque mandement. Dans la ville de Nice deux cents volontaires choisis dans les familles nobles et bourgeoises s’armèrent à leurs frais et allèrent camper sur la frontière de la Turbie pour tenir en respect  la garnison française de Monaco.

Depuis quelques jours le Gouvernement était informé que le Consul de France se disposait à partir et jugea bon de le retenir à Nice pour assurer la sauvegarde du Consul Général sarde qui était en résidence à Marseille. Mais le Contre-Amiral Truguet s’approcha de Nice avec sa flotte et s’assura rapidement que le Consul qui était le Sieur Le Sueur puisse s’embarquer avec les employés  de la légation et s’en aller librement en France.

Alors le Commandant de la ville qui était  un gentilhomme irlandais du nom d’O’Brenan envoya une estafette au Général en Chef de Courten, qui était allé le jour précédent visiter les troupes établies le long du Var.

 Celui-ci n’hésita pas à retourner et il trouva tous les esprits dans la plus grande agitation par crainte d’un assaut imminent. Mais une telle crainte ne pouvait naitre que d’une raison valable.  Rien n’indiquait l’urgence d’un péril  et encore moins l’impossibilité de résister aux français dans le cas où ils auraient tenté un assaut.

           La flotte commandée par Truguet s’était alors bien éloignée et des nouvelles indubitables du camp de la Brague assuraient Courten et Pinto que d’Anselme n’avait à sa disposition que six mille hommes et bien peu de cavalerie et seulement huit pièces de campagne et qu’il n’aurait osé avec si peu de moyens s’avancer dans un pays protégé  par une armée beaucoup plus nombreuse  que la sienne, où tous les habitants étaient en armes, et où entre l’espace s’étendant du Var au Paillon la nature offrait des positions très avantageuses et propices à pouvoir repousser  aisément l’ennemi.

Mais le Général en Chef, sans y réfléchir aucunement, se laissant guider par les conseils de Pinto, embrassa le parti prématuré d’évacuer la ligne du Var, toute la plaine, et de se retirer jusque sous Saorge, abandonnant  ainsi une population fidèle à la calamité d’une invasion imprévue et aux vengeances d’un ennemi irrascible. Quand bien même des motifs sérieux auraient persuadé le Général en Chef d’effectuer cette retraite, il aurait eu tout le temps  de la préparer avec toute la sagesse nécessaire et de l’exécuter en bon ordre ; ainsi il n’aurait pas laissé à l’ennemi la nombreuse artillerie qui garnissait les bastions et redoutes et aussi  les provisions de toutes sortes qui étaient stockées au prix de  dépenses gigantesques.

De façon imprévue  dans la soirée du 29 septembre, une rumeur sourde  répandit dans la ville la terreur et la confusion. Le Général en Chef donna l’ordre de la retraite. Les officiers supérieurs ne reçurent de sa part aucune directive précise pour la marche des colonnes. Il ne se préoccupa pas de l’évacuation des hôpitaux et des magasins ; il ne fit pas prévenir à temps les autorités civiles de mettre en sécurité les papiers du gouvernement et ne fit rien pour prévenir les désordres. Le désespoir naquit parmi les citoyens et les émigrés français ; les maisons et les boutiques étaient déjà closes. Chacun se dépêchait de réunir ce qu’il avait de plus précieux et de cacher les affaires qu’il ne pouvait pas emporter avec soi. On n'entendait partout que des cris et des lamentations. Les rumeurs les plus sinistres se répandaient et se succédaient, comme si les français avaient déjà passé le Var. Les trois quarts de la population se précipitèrent sur la route de Tende dans la confusion. Il est impossible de dépeindre une scène aussi pitoyable. Les nobles, les bourgeois, les magistrats, les prêtres, les artisans, les agriculteurs, les vieux et les enfants, les mères avec leurs bébés dans les bras, formaient une innombrable foule qui devint toujours plus tumultueuse à mesure que l’ombre de la nuit augmentait la confusion. Déjà depuis deux heures les troupes piémontaises stupéfaites et humiliées filaient en silence sur la route de l’Escarène quand un détachement de dragons qui était resté en arrière-garde au bord du Var  arriva à bride abattue pour rejoindre l’armée non loin du pont de Peille. Il régnait une obscurité profonde. Au bruit du piétinement des chevaux la colonne en retraite prit peur  croyant avoir l’ennemi à ses basques. Subitement les soldats se dispersèrent, abandonnèrent les équipages et beaucoup également les armes. Ils ne finirent par se ressaisir que lorsque la lumière du jour leur fit se rendre compte de leur erreur. L’armée subalpine continua à fuir comme si elle avait dans les flancs l’armée ennemie jusqu’à Sospel où fut établi provisoirement le Quartier Général qui fut ensuite transféré à la Giandola sous la protection du fort de Saorge.

Pendant que le multitude des fuyards s’accroissait en chemin et se trouvait désormais privée d’aliments et recrue de fatigue, la ville de Nice privée de ses meilleurs habitants, abandonnée par ses magistrats, passa la nuit du 29 au 30 septembre exposée non seulement aux périls d’une invasion imminente mais  également aux violences de la lie du peuple qui n’étant plus retenue par aucun frein, rompit les portes des maisons et des magasins et s’abandonna à la rapine. Cela fait vraiment frémir que tout ceci advint alors que le Général d’Anselme n’avait encore procédé à aucun mouvement pour passer le Var.

Quelques conseillers qui eurent le courage de rester à leurs postes délibérèrent de lui envoyer des députés qui en sollicitèrent l’arrivée pour éviter de cette façon les malheurs d’un saccage de la part des français et aussi pour contenir les malfaisants pour lesquels l’impunité augmentait l’audace. Et ce fut alors seulement que le Général ennemi  partant du camp de la Brague avec cinq mille hommes, s’avança vers Nice.

A peine les  troupes françaises entrèrent  dans la ville que leur Général pensa à s’emparer des forts du Mont Alban et de Villefranche qui capitulèrent à la première sommation. L’escadre française entra dans le port de Villefranche. D’Anselme après avoir disposé quelques troupes sur les premières élévations des Alpes  en face de l’armée sarde, établit à Nice une  administration communale provisoire. Quelques  temps après, suite aux intrigues de quelques étrangers aux idées nouvelles, se conclut la réunion du Comté de Nice à la France qui forma le département des Alpes Maritimes.

Suite à la prise des forts du Mont Alban et de Villefranche, le Général d’Anselme et le Contre-Amiral Truguet après s’être concertés sur le plan d’offensive, conclurent qu’ils repousseraient l’armée sarde dans les gorges de Saorge et que l’escadre tenterait en même temps de surprendre la cité d’Oneglia. D’un autre côté le Général de Division Brunet  commandant une colonne de deux mille hommes s’avança par le col de Braus sur Sospel et s’en empara sans difficultés. Alors, à son approche, le Chevalier de Courten   se replia avec la plus grande partie de l’armée royale  sous le fort de Saorge, ne laissant qu’un faible Corps d’observation au sommet du col de Brouis. Les français une fois cette position occupée rapidement  descendirent à Breil d’où Brunet envoya une sommation au Commandant  de Saorge d’abandonner la Place. Mais une telle sommation fut accueillie  avec mépris et comme d’autre part l’hiver approchait, l’ennemi courait le danger de rester dans la vallée de Breil et se retira à Nice, se bornant à occuper Sospel et l’Escarène avec quelques troupes détachées de l’armée.

Dans le même temps la ville d’Oneglia subit les désastres d’un bombardement et d’un horrible saccage. L’escadre de Truguet rentrée  dans le port de Villefranche le 12 novembre trouva les troupes terrestres dans la plus grande effervescence par suite de l’arrivée de phalanges marseillaises de funeste mémoire. Cette féroce soldatesque composée de la lie de la population de Marseille  signala son entrée à Nice par d’horribles délits. Le Général d’Anselme  atterré lui-même d’avoir sous ses ordres une aussi détestable troupe, profita pour en libérer la ville de Nice, du projet que lui proposa Truguet de tenter une expédition sur la Sardaigne. Le Général d’Anselme sut la mauvaise issue d’une telle expédition pendant qu’il s’occupait à répartir son armée dans ses quartiers d’hiver.

Le Roi Victor Amédée profita de ce bref repos pour préparer les moyens de défense à l’ouverture de la Campagne. Un traité d’alliance  avec l’Autriche mit à sa disposition dix mille hommes de troupes auxiliaires. Une proclamation qu’il adressa  aux habitants de Nice fit prendre les armes à la population entière. En même temps le Souverain rappela Courten en Piémont  et donna le commandement de l’armée dans le Comté de Nice au Comte de S.André, lequel à peine arrivé au camp de Saorge alla s’établir avec son Etat-Major à la maison de la Giandola  et fit occuper les hauteurs de Raus et de Brouis. Bien qu’il ait eu peu de troupes  de ligne à sa disposition, celui-ci néanmoins, mettant à profit l’ardeur des miliciens, fit passer une colonne dans la vallée de la Vésubie qui partout l’accueillit avec des  transports de joie ; il s’empara des villages de S.Martin, d’Utelle, de Roquebillière et Lantosque et força la garnison française d’Utelle à se retirer à Levens. Une autre expédition entreprise dans le cœur de l’hiver marqua l’arrivée du Comte de S.André. L’ennemi occupait la ville de Sospel avec trois mille hommes. Le valeureux Comte s’efforça de le surprendre  et à déposer les armes. Mais ceci ne lui réussit pas complètement car un coup de canon tiré imprudemment sur la position avancée de Perus, réveilla les français qui voyant les milices qui couronnaient les sommets alentour, grimpèrent en hâte le col de Braus et eurent le temps de se retirer à l’Escarène. L’ennemi perdit alors beaucoup d’hommes  qui furent faits prisonniers avec toutes leurs provisions.

Au mois de février 1793, une autre colonne détachée de l’armée royale s’introduisit dans les vallées de la Tinée et du Var, occupa Guillaume et Puget Théniers. De nombreux renforts venus de l’intérieur de la France avaient rejoint Nice pendant l’hiver mais à l’instant où il préparait son plan de Campagne, d’Anselme fut destitué par l’Assemblée nationale qui donna le commandement des troupes qu’il avait sous ses ordres  au Général Brunet. Celui-ci les divisa en deux colonnes dont la première descendit par Utelle dans la vallée de Lantosque  et contraignit les détachements piémontais à remonter sur les hauteurs de Raus. La seconde marcha sur Sospel et cette ville malheureuse subit un nouveau saccage. L’arrivée des auxiliaires autrichiens stoppa ces premiers succès  des français. Les austro-sardes se portèrent sur le sommet du col de Brouis d’où Brunet ne put les déloger malgré des efforts répétés. Postérieurement le Chevalier de Revel qui parvint ensuite à de plus grands grades de l’Etat, parut sur le col de Braus où il encercla et fit prisonnier un Corps ennemi.

Les montagnes étant  devenues praticables au retour de la belle saison, Brunet ordonna l’assaut général sur toute la ligne. Déjà plusieurs colonnes détachées de l’armée s’étaient avancées  par la vallée du Var et avaient envahi celles de la Tinée et de la Vésubie, contraignant les détachements austro-sardes à se retirer sur les camps de Raus et de Brouis. Ces positions fortes du fait de la nature du sol  et protégées par le Fort de Saorge formaient un front bien pourvu de redoutes  communiquant les unes avec les autres de telle sorte qu’elles pouvaient rapidement transférer la plus grande partie de leurs forces là où les français osaient se présenter. Le 17 avril, le Général de Division Biron, sorti de Sospel avec un Corps de Grenadiers, assaillit la position de Perus qui servait de position avancée  au camp de Brouis.

Le régiment de Nice qui le défendait s’y couvrit de gloire en combattant tout seul pendant deux heures contre des forces quadruples. Après avoir subi des pertes douloureuses  cet intrépide régiment fut contraint d’abandonner le terrain.

Bien des jours se passèrent en actions de peu d’importance entre les chasseurs français et les milices  niçoises.

Le Général Brunet bien résolu à forcer les hauteurs de Brouis se rendit avec tout son Etat-Major  à Sospel et il était là à ce moment à préparer son projet d’assaut quand il fut averti qu’une grande agitation régnait dans le camp austro-sarde et que tous s’abandonnaient à de bruyants transports de joie, lesquels étaient provoqués par la publication d‘un traité d’alliance offensive et défensive conclu entre l’Angleterre et la Cour de Turin et plus encore par l’arrivée au Quartier Général du Duc de Chablais frère du Roi. Le Général français qui avait d’abord quelques inquiétudes, quand il comprit la raison de cette joie des austro-sardes, n’hésita plus à exécuter son projet.

Le matin du 8 juin 1793 quinze mille français  répartis en six colonnes  se lancèrent en même temps au son des fanfares révolutionnaires sur les positions de Raus, de l’Authion, de Moulinet, de Linières, du Béolet et de Brouis. Ils escaladèrent avec intrépidité les rochers escarpés qui les séparaient de leurs adversaires, lesquels les reçurent avec un égal courage. Un feu terrible commença sur toute la ligne. A Raus le Comte della Rocca, gentilhomme niçois repoussa vigoureusement sur la droite l’assaut de deux divisions ennemies venues de la vallée de la Vésubie ; le Chevalier de Revel, devenu ensuite Comte de Pralungo se précipita sur l’aile gauche qui commençait à plier et reprit l’avantage du combat, Au centre le Brigadier Général, Marquis de Montagna, se tint ferme à son poste et rendit vains tous les  efforts des grenadiers français.

La rencontre fut encore plus chaude sur l’Authion. Ici on combattit tout le jour avec une égale vaillance, mais les ennemis se trouvant en beaucoup plus grand nombre s’emparèrent enfin de l’importante position de Mantega et de Tuech. Dans le même temps le site de Linières fut pris avec des pertes considérables. Six Compagnies retranchées au Béolet  et débordées par cinq mille hommes reculèrent en désordre sur le camp de Braus.

La nuit qui survint et la fatigue des combattants suspendirent les hostilités et empêchèrent l’ennemi de poursuivre ses premiers succès. Le matin du 9 juin, le camp de Brouis fut évacué après que furent enlevés toute l’artillerie et les bagages. Les austro-sardes occupèrent une ligne plus proche du Fort de Saorge en se rendant à droite et à gauche  sur les hauteurs de Raus et de l’Authion.

Le Général Brunet entreprit un nouvel assaut dans la mémorable journée du 12 juin. Douze mille hommes choisis parmi les plus valeureux de l’armée française s’avancèrent en trois colonnes ; ils gravirent rapidement et avec une rare intrépidité  les roches de l’Authion et de Raus. Un feu terrible qui partit du haut de ces redoutes en réduisit les colonnes sans en arrêter le courage, mais après avoir fait des prodiges de valeur, l’ennemi repoussé sur tous les points  se  retira en désordre avec la perte de trois mille hommes.

Les désastres de la journée de Raus amenèrent le découragement et la crainte au Quartier Général de Nice et il était certain que le Général Brunet était déjà résolu à  évacuer ses hôpitaux et ses magasins et n’aurait pas hésité à repasser le Var si l’armée austro-sarde avait poursuivi  les fugitifs et profité de leur frayeur.

D’horribles nuages couvrirent alors l’horizon politique en France. Au début de la Campagne de 1793, la force totale  de l’armée française  dans le Comté de Nice était de trente mille hommes. Mais les petites bagarres, les désertions, les maladies avaient diminué ce nombre. Pour obéir aux représentants du peuple dans le Midi de la France, le Général Brunet se sépara malgré lui de dix bataillons de ses meilleures troupes pour les faire passer en Provence et ainsi il se trouva réduit à la moitié de son armée et par conséquent à rester sur la défensive.

L’ardeur et la confiance s’accroissaient parmi les austro-sardes en proportion du découragement des  français. Le Général Dewins fut envoyé au commandement de l’armée. Victor Amédée s’y rendit en personne pour accroitre au mieux par sa présence le courage de ses guerriers. Il rejoignit le Quartier Général de la Giandola le 6 septembre accompagné de ses deux fils les Duc d’Aoste et de Montferrat. Profitant de l’ardeur que cela avait produit dans l’esprit des soldats, Dewins résolut d’assaillir les français qui se  tenaient immobiles sur les positions de Brouis, de Mantega  et de Tuech, mais son projet n’ayant pas réussi de ce côté il fit mouvement sur sa droite.

Pendant qu’une colonne descendant du col de Raus, obligeait l’ennemi à abandonner plusieurs villages de la vallée de la Vésubie, le Duc d’Aoste amena un nouveau renfort de troupes fraiches à travers le col de Fenestres, s’empara des vallées de la Tinée et du Var. Son projet était de forcer le village de Gilette et de faire mouvement sur Nice par Aspremont, menaçant un temps de passer l’Estéron et de se jeter en Provence, mais cette expédition ou le Duc d’Aoste mésestima les périls et les fatigues des soldats, ne fut pas couronnée d’un grand succès par manque d’accord et de vitesse dans l’exécution. Quatre cents français s’étaient retranchés avec quelques pièces d’artillerie dans le vieux village de Gilette où se trouvaient les ruines d’un vieux château. Cette espèce de fort situé sur des rochers abrupts, arrêta la marche des austro-sardes. Deux assauts consécutifs furent repoussés et dans l’intervalle l’ennemi ayant reçu de notables renforts encercla trois cents autrichiens qui formaient l’avant-garde et les fit prisonniers. La confusion et le désordre se mirent alors dans les troupes alliées et il fut opportun de reculer et de regagner les montagnes.

Puis peu de temps après le Général Brunet fut destitué du commandement de l’armée et condamné au supplice extrême ; ceci advint quand le règne de la terreur mettait la France au comble du malheur. Déjà Robespierre avait institué son épouvantable tyrannie sur des cadavres et des ruines. Bien que Nice dut en éprouver le joug extrêmement odieux, le sang de ses habitants fut cependant épargné car le Ciel avait sans doute pitié d’eux, un représentant auprès de l’armée du nom de La Source, leur ayant été envoyé, lequel sous de féroces semblants cachait une âme moins corrompue et avait des principes plus modérés.

Dumerbion qui avait succédé à Brunet au commandement de l’armée ne voulut prendre aucune part aux affaires civiles. Il est vrai que la loi contre les suspects, s’appliquait à Nice avec rigueur et que les prisons se trouvèrent bien rapidement pleines d’innocents citadins, lesquels devaient être conduits devant le tribunal révolutionnaire d’Orange ce qui était un décret de mort. Mais la Providence ne permit pas l’accomplissement de cette horrible tuerie, et alors la chute de Robespierre dissipa ces craintes cruelles.

Déjà depuis quatre mois l’armée française dans le Comté de Nice languissait dans l’inaction. Le comité de salut public rappela Dumerbion et lui donna pour successeur le renommé Kellerman. Celui-ci ayant sous ses ordres le courageux Masséna  n’attendit que l’ultime fonte des neiges pour faire une offensive massive sur le territoire gênois suivant le nouveau plan de Campagne de 1794 préparé par le ministère français. Au début d’avril les français se mirent en mouvement sur deux colonnes  se dirigeant sur la route de la Riviera de Gênes. Les principales vicissitudes de cette campagne et des deux qui suivirent  furent exposées par nous dans les articles sur les endroits qui en subirent les  sanglantes actions. Nous dirons seulement que la ville de Nice fut très animée durant l’hiver 1795-1796.

La France avait établi un gouvernement plus modéré. Les dirigeants des troupes cherchaient à rétablir en partie l’ordre et la discipline militaire. Les dépenses des officiers supérieurs et des employés de l’armée  procuraient des gains considérables aux habitants. Le commerce se releva peu à peu  après trois années de stagnation  funeste. L’agriculture et l’industrie commencèrent à redevenir florissantes.

Bonaparte qui après beaucoup de vicissitudes obtint alors le commandement de l’armée d’Italie rejoignit Nice le 22 mars 1796. Il y trouva l’armée, décomposée et humiliée par une longue inaction. Il trouva les caisses et les magasins vides de provisions, les soldats mécontents et abandonnés à la misère et à la désertion. En moins d’un mois la supériorité de son génie  et son activité infatigable parvinrent à rétablir l’ordre et la discipline et à ranimer le courage et l’ardeur guerrière.

Dans le jour même décidé pour le départ, deux régiments se mutinèrent sur la Place Victor, alors dite de la République,  et refusèrent de marcher demandant avec de hauts cris leurs paiements en retard. Bonaparte loin d’être déconcerté par un tel début de mouvement, monta subitement à cheval, se présenta aux mutins et les ramena au devoir et à l’obéissance. Nous citons par ailleurs les succès que Bonaparte obtint au cours de cette campagne et comme ils amenèrent à l’armistice de Cherasco conclu dans la nuit du 26 au 27 avril de la même année. Par le traité de paix conclu à Paris le 15 mai de la même année, le Monarque sarde, parmi de nombreux sacrifices auxquels il dut se soumettre, consentit même de céder  à la France le Comté de Nice.

Tant de malheurs affectèrent la fin d’un règne commencé sous d’heureux auspices. Victor Amédée mourut au château de Moncalieri le 15 octobre 1796 oppressé par la douloureuse pensée que tous ses efforts pour la félicité des peuples qui lui étaient soumis, étaient restés infructueux.

Charles Emmanuel montant sur le trône vacillant après tant de secousses trouva dans la religion les seuls moyens de se consoler du malheur ; il reconnut les améliorations  qu’avaient connues les niçois sous le doux gouvernement de son royal prédécesseur,  et en fut lui-même affecté, mais l’amertume de cette pénible séparation fut moindre pour lui quand il sut  que pouvaient rentrer à Nice tranquillement les familles jusqu’alors errantes et proscrites du sol natal que la patrie accueillit avec les sentiments d’une mère qui déplore et partage les angoisses de ses enfants. A ce moment les administrations civiles françaises commençaient à s’améliorer pour autant que les changements, survenus dans l’esprit et le comportement du gouvernement républicain, pouvaient le permettre. Des hommes plus modérés prenaient les rênes du Pouvoir et ne pensaient plus s’en prévaloir comme un instrument de destruction et de mort

Mais cet ordre de choses dura peu. La révolution du 18 fructidor  immergea de nouveau la République dans  une belle  pourriture. Les lois barbares des proscriptions furent de nouveau mises en vigueur. Et cela frappa la ville de Nice de sorte qu’elle en fut extrêmement consternée et affligée. Beaucoup de niçois qui commençaient déjà à profiter dans le sein de leur famille d’un repos acheté par tant de larmes furent de nouveau contraints à fuir les carnages et à chercher asile en terre étrangère. C’est à cette époque qu’un terrible Général français arriva à Nice à la tête de dix mille révolutionnaires, menaçant de mort et d’extermination toutes les personnes de bien. Et je note la proclamation qu’il fit publier à Aix : « Aristocrates dit le féroce Général, aujourd’hui j’arrive, demain vous n’existez plus ». Conformément à d’aussi sinistres menaces, il déclara la ville de Nice en état de siège et tenta même de l’abandonner au saccage pas ses troupes rapaces, mais par chance, le courage et la fermeté de ceux qui dirigeaient l’administration municipale réussirent à empêcher l’exécution d’aussi néfastes projets.

Bonaparte se rendit à Paris pour recevoir le prix de ses triomphes mais comme le calme de la vie privée ne pouvait convenir au tumulte de son cœur, il forma subitement le projet d’aller à la conquête de l’Egypte.  Cette expédition insensée couta à la ville de Nice sa part de larmes et de regrets ; elle se lamenta de la perte d’une multitude de jeunes marins qui furent sujets dans le pays d’Egypte au plus cruel destin. Si par une chance prodigieuse ils eurent le bonheur de retourner  dans leur patrie, ils offrirent le triste spectacle des fléaux dont ils avaient subi la rigueur. Durant le cours de ces lointains désastres, la faction des anarchistes  qui avaient relevé en France leur horrible tête, conspira la ruine du Piémont et du Trône savoyard. Le Directoire fit sommer au Roi Charles Emmanuel  de se retirer immédiatement en Sardaigne et en humiliant son front au décret du ciel, il partit de Turin dans la nuit du 10 décembre 1798 accompagné d’officiers français liés au Directoire.

L’année 1799 commença sous de meilleurs auspices. Les Empereurs de Russie et d’Autriche frappés des malheurs qui désolaient l’Italie, se liguèrent pour la libérer. Pendant que les aigles moscovites  traversaient la Pologne, ceux d’Autriche passaient triomphants sur les rives de l’Adige. L’armée française commandée par Scheller précipita sa retraite abandonnant  l’artillerie, les magasins, les hôpitaux et la plus grande partie de son butin. En peu de temps les austro-sardes obtinrent les plus glorieux triomphes. Le Piémont fut prestement conquis par le célèbre Souwaroff. Après la mémorable bataille du 17 juin engagée non loin de la Trebbia sur la chaine inférieure de l’Appenin, les restes de l’armée française battue se replièrent en Ligurie avec l’intention de défendre le passage de la Bocchetta, mais le sanglant combat de Novi survenu le 15 aout suivant acheva le désastre des républicains.

Pour sauver le territoire français d’une invasion imminente, le Directoire confia les derniers moyens de la République à Masséna et il fit tant qu’il triompha des russes dans les territoires suisses. Or pendant que le bruit des armes résonnait sur les frontières de France, la ville de Nice subit le fléau d’une terrible épidémie qui commença à se développer fin mars 1800. Sans compter les soldats qui périrent dans les hôpitaux, le nombre des morts de la ville et du territoire de Nice fut d’un peu moins de cinq mille.

Les habitants horriblement frappés par ce fléau supportèrent aussi toutes les vexations des troupes indisciplinées, l’avidité et les exigences continuelles des commissaires et des généraux. Pour comble d‘embarras le Général Championnet battu à Savigliano arriva à Nice avec les restes de sa Division et demanda la somme de cent mille francs à payer dans les vingt-quatre heures mais les menaces d’une courageuse administration l’intimidèrent de sorte qu’il partit  aussitôt pour Antibes.

Au printemps 1800 le Général Melas traversa  les montagnes du Comté de Nice avec une avant-garde de dix mille autrichiens auxquels s’étaient unis deux mille piémontais. Le Général Suchet qui commandait l’aile gauche de l’armée d’Italie dont le Commandant suprême était alors Masséna arriva à Nice deux jours avant les austro-sardes et alla s’établir rapidement au village de Saint Laurent au-delà du Var pour garder la tête de pont sur la rive gauche du fleuve. L’avant-garde des autrichiens entra à Nice le 13 mai. Melas Général en chef arriva le jour d’après avec tout son Etat-Major et distribua ses troupes en face des positions occupées par les français. Tous prévoyaient que l’ennemi  assailli au pont du Var n’aurait pas osé résister et que les Impériaux se seraient bientôt avancés en Provence.

Mais le départ de Melas qui retourna subitement en Piémont commença à faire perdre un tel espoir. Le Général Gorrup resté à la tête des troupes austro-sardes n’entreprit aucune action notable contre Suchet et celui-ci ayant reçu des renforts put lui-même  repousser l’offensive. Ses troupes traversant le fleuve en plusieurs colonnes vinrent assaillir les Impériaux sur la rive gauche et les repoussèrent avec tant d’impétuosité que Gorrup se retira au-delà de la montagne abandonnant ainsi toute une population fidèle aux vengeances de l’ennemi. Mais par chance Suchet avait des principes assez modérés.  Ses troupes entrèrent à Nice sans commettre le moindre désordre. Après le triomphe très remarquable que Bonaparte, revenu d’Egypte, remporta en Italie, il alla à Paris et en qualité de Premier Consul ne tarda pas à s’occuper de l’administration intérieure du gouvernement.

Il établit le système des Préfectures et confia la magistrature civile à des hommes qui avaient presque tous participé  à la Révolution en France et dont il voulait flatter l’ambition et la cupidité, pour en faire des dévots et des hommes liges.

Nice chef-lieu du Département des Alpes Maritimes eut pour premier Préfet le sieur Florens auparavant secrétaire d’ambassade à Rome lequel avait pourtant embrassé les principes républicains mais ne manquait ni de modération ni de talent.

Une loi d’amnistie en faveur  des déportés et émigrés fit cesser une persécution barbare. La ville de Nice s’ouvrit pour la seconde fois aux sentiments inspirés par le retour d’une multitude  de citadins rendus à leurs familles. Pendant ce temps, l’Autriche, fatiguée par une lutte désastreuse, signa le traité de Lunéville puis l‘Angleterre celui d’Amiens"

 

Bibliographie

 

Dizionario geografico storico statistico commerciale compilato per cura del Professore e Dottore di Belle Lettere

Gioffredo Casalis Cavaliere dell’ordine de SS Maurizio e Lazzaro

Opera molto utile agli impiegati nei pubblici e private uffizi a tutte le persone applicate al foro alla milizia al commercio e singolarmente agli amatori delle cose patrie

Bibliothèque municipale de Nice

Tome XI B 8143 – date 1843