digue du var

 

LA RELIGION SELON CHARLOTTE HAWKINS EN 1885

Mise à jour janvier 2017

   

  Traduction des pages 44 et suivantes du livre Maritime Alps ()

 

« Beaucoup a été dit  contre l’éducation donnée  par les Sœurs, ce qui laisse un peu à désirer, j’imagine, mais d’autre part les Sœurs sont de bons anges   et les seules  dans une très pauvre région. Je me souviens d’une, étant avec un ami, en examinant quelques enfants  appartenant à une école religieuse près de Falicon, nous avons trouvé que leur connaissance  du nouveau testament était approfondie aussi bien que correcte. On ne peut pas dire la même chose  pour les paysans qui viennent de la Brigue, s’ils ont plus de trente ans. Un jour notre employée brigasque  ayant été témoin d’une représentation de la Passion fut très touchée et même indignée.

Pourquoi, s’exclama-t’elle, ils ont aussi maltraité ce pauvre Monsieur ?

Ils l’ont battu, lui ont craché dessus et j’ai pleuré quand ils lui ont percé  son côté avec une lance.

Notre Bonne, presbytérienne  et la vieille Benoite, la cuisinière savoisienne furent également horrifiées  de l’ignorance de Madeloun, car, comme elle allait à la messe régulièrement personne ne pouvait la supposer aussi ignorante de la vie, la mort et la mission de Notre Seigneur. Nous avons essayé de l’éclairer mais Madeloun était réfractaire à tout enseignement théologique. Elle refusait d’accepter les souffrances cruelles du Seigneur, en appelait à tous les gens concernés qu’il n’y avait pas une bonne fille, mère  épouse et mère capable d’une telle cruauté.

Au sujet de la faute imputée et des mérites imputés, Madeloun ne voulait entendre un mot  et bien que nous ayons acheté pour elle un volume des histoires de l’Ecriture (avec des illustrations), et que Benoite lui lisait dans la cuisine, Madeloun gardait la même opinion que  ce pauvre Monsieur était gentil comme un agneau, que ces gens étaient brutaux et qu’elle n’en avait rien à faire.

La religion pour les peuples latins est trop souvent un spectacle, un poème qui se joue sur la scène de l’église, une pièce qui grâce aux bougies et à la musique est encore bien acceptée, même après plusieurs années de répétition parce que lors des grandes festivités il y a toujours quelque chose à regarder, les « santi belli » comme ils appellent les images bon marché, à acheter et une procession  laquelle on prend part.

Les corporations et les congrégations sont populaires pour les mêmes raisons, mais il y a beaucoup plus d’amour du mouvement que de dévotion dans ces populations et une festivité est regardée plus pour l’amusement  que pour les prières.

L’extension des opinions libérales tient les hommes éloignés de l’Eglise, mais comme les participants de l’église paroissiale de Cannes étaient plus de trois cents à Pâques dernier, on ne peut pas dire que ce sont les démagogues radicaux ou l’influence des visiteurs protestants qui ont altéré grandement la présence à le « fête obligatoire »

Les gens vont en foule visiter les églises le jeudi Saint et je crois que je n’ai jamais été témoin d’un spectacle plus touchant qu’un groupe de femmes éplorées qui le soir de ce jour chantaient le « stabat mater »

C’était dans une paroisse sale, en très mauvais état, humide comme une étable et mal pavée de briques.

La grande porte demeurait ouverte comme  si des funérailles venaient d’avoir lieu et l’autel était dépouillé, mais devant le Reposoir, où le Saint sacrement était enfermé, il y avait de grands camélias et quelques bougies qui brûlaient.

Les femmes avec leurs châles sur la tête, étaient blotties les unes contre les autres,  ensemble dans l’obscurité et participaient de la désolation des Marie et de la tristesse  et de l’apparent bouleversement de la petite communauté chrétienne le soir de la crucifixion.

La même église avait été très pittoresque le Dimanche des rameaux car chaque adulte avait alors une palme d’un vert léger, pendant que les enfants portaient leurs curieux trophées clinquants de fleurs et de bonbons, qu’on dit être le souvenir  des vieilles festivités grecques pour le retour de Thésée  après avoir tué le minotaure. Cependant cela ne peut être comme dit Origène,  ces palmes ne sont plus  les palmes d’Osiris.

Ce sont les palmes du Christ, et le moment où le prêtre  en arrivant demande de pouvoir entrer dans l’église est très impressionnant. La porte est trois fois frappée de l’extérieur par le pied de la croix et avec les choristes rassemblés à l’intérieur une discussion s’engage.

L’admission est demandée pour le Roi de Gloire. Qui est le Roi de Gloire, demande le chœur ? Le Seigneur des Hôtes, c’est le Roi de Gloire est la réponse qui vient de l’extérieur et alors les portes s’ouvrent brusquement et l’élévation  des palmes par quelqu’un devient le signal de l’élévation des palmes par toute l’assemblée. L’église ressemble à un bois.

Cependant parce que l’église est comble, ou parce que le paysan calcule comme son grand père suivant le calendrier, pour semer ses semences  à la fête de la Conversion de Saint Paul ou se préoccupe de la pluie à la Saint Michel, ou craint les gelées des saints vendangeurs en Mai, il n’en résulte pas qu’il soit pieux ou une personne soumise, loin de là.

Les provençaux comme tous les français  croient à l’égalité. Ils sont frondeurs et difficiles à intimider. Ils ne respectent pas les Dignités et leur patois comporte peu de locutions concernant la référence ou le respect. Les scènes de la messe de minuit ne sont pas toujours édifiantes.

Quelques jeunes gens près de moi  font à la veillée de Noel quelques plaisanteries et rient, jusqu’à ce que je touche l’un d’eux à l’épaule et que je lui dise : « Chut lou pichient someilho », (chut l’enfant dort). Le garçon m’a alors fixé ainsi que ma veste de fourrure  et puis a répliqué à voix forte « il n’est pas encore né ». Pardonnez-moi, ai-je répondu, c’est juste minuit passé. Ah bien, s’exclama t’il  et l’ordre revint dans mon voisinage.

Je possède un curieux poème adaptant les gospels  et la phraséologie directe du texte est très curieuse.

Les gospels  pour chaque Dimanche et le Saint du Jour, sont « virados » (traduits en vers) par un certain Marius Decard et ce qui est encore plus merveilleux, c’est qu’il réussit à faire de même pour le Canon de la messe et pour les prières durant la Célébration.

Je vais seulement citer une partie du Gospel pour le second dimanche de carême, St Mathieu XVII- 1 19

 

Un jour comm’ooujourd’ui escalant la mountagno

Jesus s’éro près per coumpagno

Leis tres disciples sanct’

Pieroun, Jacques et Jean

Et per qu’ignorous ren de tout ce que n’en ero

Jacques et Jean erount doux frèro

 

Puis suit le compte rendu de la Transfiguration

 

Quand agneront repres et l’aploumb et leis forço

Et lou courage que ranforço

Regagnerount ensems lou pichoun carreiroon

Que serpentava en viravoon

Lou long de la mountagno

Es en camin fasent qu’arrestant seis compagno

Jesus l’y fet’ questo montien

Gardes vous (fes l’y ben attentien)

De dire en que que siech, ce que vinès de veire !

Fes n’en voustre secret, chacun dens voustre cuour

Jusqu’oou jour que deis mouort

S’envoulant  de la terro

Vegues lou Fiou di Diou s’envoular vers soun péro

 

Je pense que mes lecteurs apprécieront  cet extrait sa naive simplicité, et l’art avec lequel  la scène est présentée et il n’est pas difficile  d’imaginer son devenir  populaire. Que dure longtemps un simple et affectionné rapport avec les gospels dans le cœur des provençaux.

Car on doit admettre que dans les villes très en avance, des tendances sont maintenant à la mode.

A Nice, Garibaldi, vrai héros dans l’imagination populaire, a certainement détrôné toute persistante observance des obligations religieuses.

Les Sœurs furent, en 1882, renvoyées  de la direction de l’Hospice de la ville de Cannes, et on peut même rencontrer un enterrement civil sur la route de Grasse.

Le parti avancé, ici, a non seulement des journaux  mais il a son propre ferry, un bateau à vapeur qui mène aux iles  et cherche à attirer une classe de clients en proclamant qu’il n’a jamais été baptisé »

 

Note : Marius Decard 1816-1884, auteur provençal

 

 

Bibliographie

 

Charlotte Louisa Hawkins Dempster - The Maritime Alps and their seabord

Longmans Green and Co – London 1885

Chapitre XII, page 41et suivantes

https://archive.org/details/maritimealpsthei00demp